L'Événement | Azerbaïdjan, France
En pleine lutte des services de renseignement entre Paris et Bakou, le dilemme autour d'une intervention russe
Dans l'affrontement qui oppose la France et l'Azerbaïdjan, Paris comme Bakou détiennent un ressortissant potentiellement lié aux services de renseignement adverses. Et la Russie entre dans la mêlée : une demande d'extradition déposée par Moscou, qui allègue de très accrocheuses accusations de terrorisme, complique la tâche des autorités françaises.
Tandis que la détention en Azerbaïdjan du ressortissant français Martin Ryan, accusé d'espionnage au profit de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure, IO du 17/09/24), a de nouveau été prolongée, les tribunaux français étudient toujours le dossier d'un ressortissant azerbaïdjanais se présentant comme un ex-collaborateur du service de sécurité intérieure de Bakou (DTX). Plus précisément, ils se penchent désormais sur la demande d'extradition de ce dernier présentée par la Russie.
Selon un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 11 septembre, qu'Intelligence Online a pu consulter, le parquet général de Russie a adressé une demande formelle d'extradition de ce ressortissant au ministère français de la justice le 21 mai. Cette demande a été transférée par l'antenne à Moscou d'Interpol, puis via une note diplomatique de l'ambassade de Russie en France en date du 29 mai.
Jouer la montre
Fin avril, cet ex-collaborateur du DTX réfugié en France, qui répond au nom de Ramazan Y. et dispose aussi d'un passeport au nom de Rovshan A., avait déjà été placé sous écrou extraditionnel par la justice française. Une mesure justifiée par l'émission d'une "notice rouge" par Interpol en 2019 à la demande, déjà, de la Russie (IO du 27/05/24).
Face à cette sollicitation de la justice russe, son homologue française est confrontée à un choix cornélien : y répondre favorablement ou la rejeter en bloc ? L'arrêt rendu le 11 septembre souligne "le caractère politique de cette demande d'extradition". La défense de Ramazan Y. a d'ailleurs fait valoir que la requête russe pouvait avoir été formulée "à la demande des autorités azerbaïdjanaises pour lesquelles il travaillait antérieurement en qualité d'agent des services de renseignement".
Aussi l'option retenue par la cour d'appel est-elle de requérir des compléments d'information auprès de la justice russe sur les motifs de sa demande d'extradition. Ce qui entraîne le renvoi de l'affaire à une nouvelle audience, le 27 novembre.
Entretien avec la DGSI
Ramazan Y., qui a indiqué que "les services de renseignement de la République d'Azerbaïdjan avaient initié une procédure de changement d'identité le concernant, en 2019, pour des raisons confidentielles", a déposé une demande d'asile en octobre 2023, rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et actuellement pendante devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Il a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction d'entrée et de séjour sur le territoire français émis le 9 août 2023, qui a toutefois été suspendu par le tribunal administratif de Rouen le 24 octobre suivant.
Selon la décision rendue par ce dernier, Ramazan Y. indique "avoir été recruté par les services secrets azerbaïdjanais et envoyé en Europe pour assurer la répression et l'élimination d'opposants au régime auteurs de blogs sur Internet". Il indique cependant ne pas avoir obéi à ces instructions et avoir, au contraire, prévenu certains opposants des risques qu'ils encouraient, selon ses dires.
Les informations sur la traque à l'étranger des opposants politiques ont été partagées par Ramazan Y. avec des enquêteurs d'un service territorial de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), fin janvier (IO du 23/02/24). Plusieurs opposants au régime d'Ilham Aliyev sont réfugiés en France, dont le blogueur Mahammad Mirzali, qui vit à Nantes sous surveillance policière permanente et a déjà réchappé à cinq tentatives d'assassinat.
Accusations de terrorisme
Le principal motif de l'interdiction d'entrée et de séjour sur le territoire français émise en août 2023 était une accusation d'appartenance "à un groupe affilié à l'organisation terroriste Daech", sans davantage de précisions. Une note fournie le 15 mai 2024 par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) à l'Ofpra, qu'Intelligence Online a pu consulter, a qualifié Ramazan Y. de "connu pour ses relations avec la mouvance islamiste radicale, pour ses convictions idéologiques radicales et pour son affiliation à l'organisation terroriste Daech".
Ces accusations reprennent celles de la "notice rouge" émise par Interpol sur demande russe. La demande d'extradition fournie par la Russie est quant à elle basée sur une enquête conclue en 2019 par la police et l'antenne du service de renseignement intérieur russe (FSB) de Makhatchkala, la capitale de la région du Daghestan, aux motifs de "promotion des activités terroristes" et "participation aux activités d'une organisation terroriste" sur le territoire russe entre 2009 et 2016, notamment "avec le groupe État islamique".
Face à ces accusations, la cour d'appel a qualifié les informations fournies par les autorités russes de "très largement incomplètes", s'agissant en particulier de "la qualification terroriste de certains groupes" mentionnés aux côtés de Daech (respectivement "Congrès des peuples d'Itchkérie et du Daghestan" et "Choura militaire supérieure du Majlis-ul des Forces Moudjahidines unies du Caucase") ou encore de la date et de la nature de certaines accusations. Le Daghestan, une région à majorité musulmane voisine de la Tchétchénie et proche de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan, fait très régulièrement l'objet d'une surveillance intensive et d'opérations antiterroristes de la part des autorités russes.
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